« Entre les murs » : une palme d'or, et après ?

Par Olivier De Bruyn
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Le metteur en scène, l'auteur et les acteurs d''Entre les murs', le 24 mai (Ch.Hartmann/Reuters).
Le metteur en scène, l’auteur et les acteurs d’’Entre les murs’, le 24 mai (Ch.Hartmann/Reuters).

C’était il y a deux semaines, à Cannes. Palme d’or surprise, « Entre les murs », de Laurent Cantet (voir la bande-annonce), raflait la mise à la barbe des favoris… Quelles conséquences pour le cinéaste et ses comédiens ? Quel avenir commercial pour le film ? Quid des éventuelles récupérations politiques ? Et maintenant, les Oscars ? Éléments de réponses.

Cannes, dimanche 25 mai. Sur la scène du palais des festivals, Sean Penn, président du jury, annonce à la surprise générale que la palme d’or est décernée à « Entre les murs », de Laurent Cantet. Une sorte d’événement national : le cinéma français n’avait pas connu une telle consécration depuis 1987 et « Sous le soleil de Satan », de Maurice Pialat. Le film, qui plante sa caméra dans une classe d’un collège parisien, suit au plus près les élèves et leur prof (incarné par François Bégaudeau, auteur du bouquin homonyme) et enregistre avec une subtilité rare les mots et les maux de la société française.

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Immédiatement, branle-bas de combat médiatique. Communiqués euphoriques des politiques (Darcos, à ma droite ; Lang, à ma gauche) saluant, chacun à sa manière, ce film vantant prétendument quelques mérites républicains. L’ont-ils vu ? Non, bien sûr. Cavalcade des radios et télés, lancées aux basques des ados du collège Françoise Dolto. Des anonymes, hier. Des quasi-stars au lendemain des festivités cannoises. « C’est un peu l’effet ’Coupe du monde’, explique en souriant Carole Scotta, productrice :

“On s’est efforcé, en accord avec le directeur du collège, de protéger les gamins. Ils ont des examens à passer. La rentrée est encore loin… Concernant les politiques, il convient d’abord qu’ils découvrent le film avant de juger s’il est récupérable ou non. Christine Albanel va assister à une projection cette semaine. Après, on verra.”

Flash-back

Ironie de l’histoire : “Entre les murs” n’a été sélectionné au festival de Cannes qu’au tout dernier moment, une semaine après les autres films, dont les deux concurrents français, “Un conte de Noël” d’Arnaud Desplechin et “La Frontière de l’aube”, de Philippe Garrel.

Scepticisme chez les sélectionneurs ? C’est le moins que l’on puisse dire. Une palme tient parfois à pas grand-chose… Les producteurs et distributeurs (Haut et Court), défenseurs depuis des lustres d’une certaine idée de l’indépendance, rassemblent leurs souvenirs, comme Simon Arnal, producteur :

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“A Cannes, on avait l’impression d’arriver masqués. Certains nous disaient ’Ah, c’est vous le troisième film ! ’ Cet anonymat nous a peut-être servi. Il y avait une certaine attente.”

Le retard à l’allumage dans la sélection a toutefois posé de sérieux problèmes à l’équipe de Cantet. Parallèlement à la compétition, se déroule en effet “le Marché du film” qui, comme son nom l’indique, permet aux acheteurs du monde entier d’acquérir des œuvres pour les distribuer ensuite sur leur territoire.

Problème : retenu plus tard en compétition que ses confrères, “Entre les murs” peine à trouver des salles au “Marché”. Pire : les meilleurs créneaux horaires sont déjà squattés. Simon Arnal poursuit :

“Des petites salles, des conditions de projection moyenne, une concurrence féroce (une des séances d’’Entre les murs’ affrontait les vingt minutes en avant-première de ‘Mesrine’), bref, ce n’était pas l’idéal. Pourtant, on sentait déjà un accueil favorable des acheteurs étrangers. Une semaine avant la palme, ’Entre les murs’ était vendu à une trentaine de pays.”

Cantet, partout. Même aux Oscars ?

La consécration du 25 mai n’inverse évidemment pas la tendance. ’Entre les murs’ double son chiffre à l’export (55 pays acquéreurs, à ce jour) et, pour la première fois, une fiction de Laurent Cantet sera distribuée en Asie : Hong-Kong, Taïwan, Corée et, peut-être, Japon. On souhaite bon courage aux équipes de doublage locales…

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Surtout, l’excellent accueil cannois attire les convoitises des gros distributeurs (en particulier américains) et motive ceux qui, en Europe, soutiennent depuis toujours le cinéaste. Ce buzz les incite à avancer la date sortie du film. La France, bien sûr, ne peut pas rester à la traîne. Du coup, initialement prévue pour le 15 octobre, la sortie aura lieu le 24 septembre, le même jour que “Faubourg 36”, le nouveau Christophe Barratier (auteur des “Choristes”). Un changement de date également dû à la stratégie, comme le précise Carole Scotta :

“Soyons clairs : pour qu’un film puisse concourir aux Oscars, il faut qu’il soit sorti sur les écrans avant la fin septembre. On ne pouvait pas négliger cette perspective.”

Copies en rafale

Le nombre de copies est lui aussi revu à la hausse. Laurence Petit, directrice de la distribution, explique :

“Les demandes sont innombrables. Dès le lundi 26 mai, notre standard téléphonique explosait. Tout le monde veut montrer la palme d’or dès sa sortie, alors que, en temps normal, certains n’auraient programmé le film qu’en troisième semaine d’exclusivité.”

Double structure de production et de distribution, Haut et court a toujours été convaincu du potentiel commercial du film. Même si la prudence règne, la palme d’or ne douche évidemment en rien l’optimisme ambiant. Au lieu des 200 copies prévues à l’origine, “Entre les murs” sortira finalement dans une combinaison de 300 à 350 copies. Carole Scotta soupire :

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“On nous parle de succès, voire de triomphe, depuis quinze jours, mais pour l’instant, il n’est qu’honorifique. On croyait au film avant Cannes. On y croit encore plus après, certes… Mais, jusqu’au 24 septembre, à part pour la notoriété et les ventes à l’étranger, rien ne changera pour nous.”

Une chose est sûre, nuance Simon Arnal, les prochains films de Laurent Cantet se financeront plus facilement :

“Il pourra faire ce qu’il a envie de faire. Mais pour nous, en effet, il est trop tôt pour se prononcer. Si le succès commercial est au rendez-vous, nous serons plus solides. Sinon… ‘

Continuons le combat

Enjeu de taille ! Pour Haut et Court, soit, mais aussi pour un certain cinéma français. Celui qui, depuis quelques années, subit de plein fouet les difficultés rencontrées par l’ensemble de la chaîne de financement, récemment mises en lumière par le Club des 13. Explications de Carole Scotta :

La palme d’or a suscité une euphorie, mais tout n’est pas devenu rose du jour au lendemain. Les films français se vendent beaucoup moins bien à l’étranger depuis quelques années et ce n’est pas un hasard. La réussite de ’Entre les murs’ à l’exportation prouve qu’il faut continuer à aider la mise en œuvre de tels films.’

Laurence Petit insiste :

‘Ce prix est le résultat d’un travail fidèle de dix ans avec un auteur. Mais sans les fonds publics, en l’occurrence la co-production de France-Télévision et l’avance sur recettes, il aurait été impossible de le financer.’

Sans une politique culturelle volontariste, pas de ‘Entre les murs’ ? Il y a de ça. Et sans elle, plus généralement, des problèmes insurmontables pour les fictions conjuguant singularité esthétique et désir de rencontrer le public. ‘La palme d’or nous a fait énormément plaisir’, conclut Carole Scotta :

‘Vu le nombre de réactions enthousiastes reçues le soir même sur nos mails et nos portables, beaucoup de gens, dans le cinéma français, partagent notre joie. ’Entre les murs’ a été produit pour 2,5 millions d’euros, sans casting ni formule scénaristique prémâchée. Qu’il soit honoré de la sorte prouve que, plus que jamais, il faut aider le cinéma vraiment indépendant.’
Olivier De Bruyn
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