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Scandale du charnier de Paris-Descartes: «On a considéré les corps comme des objets»

À la mort du donateur, le corps doit être expédié au centre du don des corps le plus proche dans les 24h qui suivent. 128432983/andriano_cz - stock.adobe.com

Les proches des donateurs se réunissent ce jeudi matin devant l’université parisienne pour dénoncer «des conditions indignes» et le trafic des corps.

Sa grand-mère a donné son corps à la science en 2016. Depuis la révélation de l’affaire par l’Express , Ariane Bazureau se mobilise aux côtés des familles qui ont porté plainte début décembre. «Quand j’ai lu l’article, je ne faisais pas attention au départ. Puis j’ai vu “CDC Descartes”. Il parlait de la découverte d’un charnier», se souvient cette ingénieure du CNRS.

«Mais c’est Mamie ça!». En cette fin du mois de novembre 2019, Ariane Bazureau brandit l’article devant sa mère, qui dénonce les «conditions indécentes» de conservation de dépouilles de «milliers de personnes ayant fait don de leur corps à la science». «Lorsque je suis entrée dans les détails, je suis tombée des nues. J’étais horrifiée quand j’ai appris que les corps étaient parqués. Que le frigo tombait en panne en plein été. Or, ma grand-mère est morte fin juin 2016 à Boulogne…», raconte-elle auprès du Figaro.

» À voir aussi - Dons de corps à la science: scandale à la faculté Paris-Descartes

Décédée à l’âge de 86 ans, Thérèse avait pris la décision de donner son corps à la médecine dès le début des années 2000. «On a très mal réagi, se remémore-t-elle. Elle nous avait expliqué qu’il n’y avait pas d’enterrement, que les corps ne sont pas restitués à la famille sauf si cette dernière le demande. Mais à l’époque nous le savions pas.» À la mort du donateur, le corps doit être expédié au centre du don des corps le plus proche dans les 24h qui suivent. Dans son cas, celui de l’université Paris-Descartes.

À la révélation de l’affaire, Ariane rejoint un groupe facebook sur lequel se sont réunis plusieurs proches de donateurs de corps. Ils étaient dix au départ. «Maintenant on est plus d’une centaine», indique-t-elle. De son côté, l’université Paris-Descartes a publié un communiqué avec un numéro à destination des familles. Ariane a essayé de les appeler «pour savoir ce qui s’était passé». En vain. À la troisième tentative, elle abandonne. «J’ai laissé tomber, je me suis dit qu’avec la plainte on sera davantage écouté.»

Ariane cherche des réponses, mais elle souhaite surtout que justice soit faite. «C’est scandaleux, on a considéré les corps comme des objets».

Un «acte de générosité»

Donner son corps à la médecine était «un acte de générosité». «Elle nous avait dit que c’était bien pour les médecins pour les former, que c’était comme un don d’organes afin de faire avancer la science, se souvient-elle. Son frère avait fait la même chose, mais à l’université de Metz». Malgré quelques réticences, la famille respecte les volontés de leur parente. Au décès de cette dernière, la maison de retraite les appelle pour les prévenir. Sachant que le corps partirait rapidement, la famille s’est aussitôt précipité pour lui dire adieu.

« Normalement, après avoir disséqué les corps, ils les incinèrent et le font au crématorium du Père-Lachaise, mais on n’en a pas été informé »

Ariane Bazureau, petite-fille de donateur

Les proches n’ont jamais su ce qu’il était advenu du corps de leur aïeule. «Normalement, après avoir disséqué les corps, ils les incinèrent et le font au crématorium du Père-Lachaise, mais on n’en a pas été informé», indique Ariane. Les cendres des donateurs de Paris-Descartes sont ensuite déposés au cimetière de Thiais, petite commune dans le Val-de-Marne, à côté d’Orly. C’est là que se trouve la stèle qui a été élevée en leur mémoire. «Hommage du maire et du conseil de Paris aux personnes ayant fait don de leurs corps à la science. Paris - 1982», est-il gravé dans le marbre. Mais, excepté cela, aucun nom. Dans leurs revendications, les familles des donateurs souhaitent que soit mise en place une liste des noms de tous les donateurs en leur mémoire. «On veut que ce soit reconnu comme un honneur pour la recherche, pas un dû».

Ils seront 40 personnes à manifester ce jeudi, d’après Ariane, devant l’université parisienne. «Ce sont des familles qui ont perdu un père, un frère, une soeur, un mari et même un enfant ayant donné leur corps à la science», énumère cette mère de deux enfants. Le groupe envisage de créer une association pour défendre la dignité de leurs proches. «Début décembre, le groupe a proposé qu’on fasse une plainte collective, j’ai suivi le train en marche», explique-t-elle. À ce jour, elles sont 32 familles à porter plainte, avec l’aide d’un avocat, Maître Douchez.

« Il n’y a aucune éthique. Ce qu’on veut c’est punir les responsables, mais surtout on ne veut pas que l’affaire soit enterrée »

Ariane Bazureau

De sa grand-mère, Ariane décrit une femme «soignée et élégante». «L’idée que son corps ait pu être empaqueté voire dévoré par les rats me rend folle, soupire-t-elle. Et j’apprends aujourd’hui que certains corps étaient revendus. Normalement quand tu donnes un corps, ce n’est pas pour faire du trafic!». À ce jour, une enquête administrative a été ouverte, mais pour Ariane cela n’a pas de sens: «Ils n’ont pas le droit de faire tout ce qu’ils veulent. Il n’y a aucune éthique. Ce qu’on veut c’est punir les responsables, mais surtout on ne veut pas que l’affaire soit enterrée. On souhaite l’ouverture d’une instruction juridique, il n’y a pas de vraie neutralité.»

Les réglementations pour encadrer juridiquement la préservation de ces corps donnés à la science, contrairement au don d’organes, restent assez floues. Seul l’article L1232-5 du code de la santé publique demande aux médecins «ayant procédé à un prélèvement ou à une autopsie médicale sur une personne décédée [...] de s’assurer de la meilleure restauration possible du corps». Des règles éthiques sont mises en place dans les centres de don des corps, mais non juridiques. «C’est ça qu’on veut faire changer, souligne l’ingénieure. Or, aujourd’hui, il n’y a pas de jurisprudence».

«Je ne peux même pas en parler à mes filles tellement cette histoire est énorme, continue-t-elle. J’attends d’avoir le courage de le faire».

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94 commentaires
  • anonym2018

    le

    Écœurant.

  • Ariane66

    le

    Le principe de protection de la dignité humaine ne cesse pas avec la mort. En tant qu'étudiante de 3ème cycle juridique, j'ai suivi des cours d'anglais dans ce bâtiment au tournant des années 2000. Sans savoir que quelques étages plus haut se trouvait un charnier. Je pense aux familles. Ne sommes-nous plus que des marchandises ou des sujets de consommation ? Dans quel pays vit-on ?

  • Charles Fortin

    le

    En ethnologie, les partique funéraires sont étudiées et décrite.
    Ce qui est décrit dans cet article, ressemble bien a ce que Staline faisait avec les corps de ses oposants...

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